Aux États-Unis, l’intérêt porté à l’alternative grandit

- Cet article a paru au www.humanite.fr -

En octobre dernier, pour la première fois dans l’histoire du Parti démocrate, un débat a opposé les candidats (en l’occurrence Hillary Clinton et Bernie Sanders) sur le capitalisme. Même les ré- publicains reconnaissent que le creusement des inégalités devient un problème majeur pour les États-Unis. Cette critique inédite du système dans le débat public redonne l’espoir de voir renaître et se structurer une gauche.

La crise de 2008, qui produit aujourd’hui ses effets politiques, travaille-t-elle aujourd’hui les consciences des habitants des É tats-Unis ? 

RICHARD WOLFF:  2008 a constitué un choc fondamental pour ceux qui pensaient que le capitalisme était une machine à produire éternellement de la croissance économique et de la prospérité. Le capitalisme ne produit plus d’effets positifs pour la majorité et il n’existe aucun signe qu’il se remettra à le faire dans le futur. Au fur et à mesure que ce fait pénètre la conscience des masses américaines, l’intérêt porté aux alternatives à la société actuelle et à ses symboles (Partis démocrate et républicain, professeurs consensuels, porte-parole habituels…) grandit. Cela prend de multiples formes: Trump et le Tea Party qui représentent la traditionnelle tendance de la droite à chercher des boucs émissaires mais aussi, sur la gauche de l’échiquier, Sanders, des économistes comme moi-même et un nombre grandissant d’auteurs de gauche aux États-Unis. Le changement est vraiment spectaculaire. 

Au titre d’économiste marxiste, ressentez-vous les effets de cette prise de conscience et de cette nouvelle ambiance politique?

RICHARD WOLFF: Il y a cinq ans, je donnais des conférences à de petites audiences tous les trois mois. Maintenant, je voyage à travers le pays deux fois par mois et je m’adresse à des publics de 300 à 700 personnes. Le pays n’a jamais été autant ouvert à l’interprétation marxiste de l’économie depuis les années 1960. La première question qui m’est posée par le public est de savoir si la direction que je propose – une transition d’une organisation sociale capitaliste à une organisation coopérative dirigée par les salariés – est réellement faisable. Est-ce que de telles entreprises peuvent réussir et entrer en compétition avec les entreprises capitalistes, gagner le soutien et la participation active des salariés? La seconde est: que puis-je faire en tant qu’individu pour faire progresser la critique du capitalisme et faire avancer la transition vers un meilleur système économique et social. Je dispose de solides réponses à la première question, pas encore à la seconde. Mais j’y travaille. 

Ce mouvement de prise de conscience dont vous parlez se traduit dans le mouvement créé autour de la candidature de Bernie Sanders dans les primaires démocrates. Comment voyez-vous ce phénomène? 

RICHARD WOLFF:  Après un demi-siècle au cours duquel tout candidat avec une étiquette « socialiste » était irrémédiablement considéré comme inéligible et dénué de pertinence, Sanders prouve que ce n’est plus le cas. Son « socialisme » est une version modérée d’une gauche keynésienne, mais il n’en reste pas moins que nous vivons un moment politique et symbolique d’une grande importance à l’échelle de la période post-1945 de diabolisation de tout ce qui était marxiste, socialiste, communiste, anarchiste. Sanders élargit significativement la brèche politique et idéologique ouverte après la crise de 2008. 

Une brèche notamment ouverte par le mouvement Occupy Wall Street. Êtes-vous un défenseur de la formule du « 1 % contre les 99 % »? 

RICHARD WOLFF: Le «1% contre les 99%» a rencontré un succès retentissant dans sa capacité à amener l’attention et la critique là où elles hésitaient à aller auparavant. Le mouvement Occupy Wall Street a de fait ouvert un espace pour une discussion publique sur les raisons de l’accroissement des inégalités de revenus et de richesses. Et c’est dans cette discussion publique que les théories marxistes ont trouvé place et audience. 

La prise de conscience et la candidature Sanders rendentelles possible la construction d’une vraie gauche américaine et pourquoi pas la création d’un nouveau parti? 

RICHARD WOLFF:  C’est un processus qui est d’ores et déjà en cours. Pour un nouveau parti, éventuellement. 

La campagne pour un Smic à 15 dollars de l’heure fait tache d’huile. Après Seattle et San Francisco, c’est la ville de Los Angeles puis le comté qui ont adopté cette mesure. Y voyezvous un remède contre le creusement des inégalités? 

RICHARD WOLFF:  L’impact de cette campagne et de ses succès n’est pas significatif sur la base structurelle des inégalités de revenus et de richesses. Mais c’est un signal que la mobilisation peut déboucher sur des victoires. Aux États-Unis, l’individualisme constitue un obstacle sérieux à l’organisation de mouvements sociaux. Les mouvements dont vous parlez se sont nourris en particulier du déclassement économique des salariés bloqués dans le salariat sous-payé. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CHRISTOPHE DEROUBAIX

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  • Betsy Avila
    published this page in Updates 2016-06-05 02:35:04 -0400

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